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Une brève histoire des caisses d'épargne

La création en France et les idées directrices

Replacer la création des caisses d'épargne françaises dans leur contexte, c'est se replonger dans le siècle des lumières et dans la période charnière qui va de l'ancien régime jusqu'à la monarchie de juillet et qui verra l'essor des établissements municipaux sous l'impulsion de leurs deux fondateurs les plus remarquables qui sont Benjamin Delessert et François-Alexandre-Frédéric, duc de Liancourt devenu duc de La Rochefoucauld-Liancourt, nom sous lequel il est mieux connu.

Les premières idées d'un établissement bancaire ou para-bancaire dédié aux gens modestes datent du XVIIème sans réalisations efficaces. Les modèles les plus proches naissent de la fin du XVIIIème en Allemagne et en Angleterre. Tout au plus, elles ont pu trouver une forme de réalisation à travers les Monts de piété (on est loin du modèle!). D'autres projets ont probablement été portés aux États généraux, après l'Assemblée Constituante en 1791, la Convention, en 1793, prévoit la création d'un établissement sous le nom de Caisse nationale de Prévoyance «pour aider les citoyens qui voudraient se préparer des ressources à quelque époque que ce soit». Le projet n'a pas de suite.

 

Les deux personnages centraux de cette innovation bancaire, issus de milieux sociaux différents que tout aurait pu opposer ; Delessert est issu de la bourgeoisie, La Rochefoucauld de la noblesse de l'ancien régime, vont pourtant sceller leur destin autour de la fondation de la caisse d'épargne de Paris en 1818. Mais avant ce projet commun, les deux hommes partagent des valeurs et des initiatives innovantes pour l'époque. Ils sont tous deux voyageurs dans leur jeunesse, passent par l'armée avant de devenir humanistes et entrepreneurs, en plus d'occuper des fonctions politiques de premier ordre avec une solide réputation de philanthrope.

Benjamin Delessert, ingénieur banquier et fils de banquier (c'est un lyonnais). Il est l'inventeur et le promoteur de la technique de raffinage de la betterave à sucre (qui permettra à la France de continuer d'avoir du sucre malgré le blocus européen hostile à la République) qui lui vaudra de recevoir la légion d'honneur des mains de Napoléon Ier. Le 2 janvier 1812, lors de la présentation des premiers pains de sucre de betterave, l'Empereur le décore sur le champ en lui remettant sa propre médaille. Au passage, il est également l'instigateur, dès 1800 des premières soupes populaires.

Le Duc François de la Rochefoucauld-Liancourt, esprit éclairé, voyage à travers l'Europe, à la fois pour des raisons politiques, ses fonctions de Maître de la Garde-robe de Louis XVI l'amènent à s'éloigner des turbulences révolutionnaires (il est l'homme du : « Non Sire, c'est une révolution ! ») et, à des fins personnelles, pour s'inspirer des initiatives des pays voisins. C'est de ces différents voyages qu'il ramènera des idées relatives à l'éducation, à l'agriculture, qu'il mettra en pratique en France à travers la création de l'école des Arts et métiers ou la promotion de la suppression des jachères par la culture de prairies artificielles.

Parmi les grands problèmes sociaux de l'époque, l'accroissement population pauvre liée au développement industriel et manufacturier pose le cas d'une « nouvelle classe » dont le niveau de vie ne permet pas d'accession ni au confort ni à la sécurité économique ou financière. Parallèlement, l'épargne, pour ces petites classes, est constituée du traditionnel bas de laine lorsqu'il existe, en règle générale stocké discrètement mais jamais totalement en sécurité. En l'absence de couverture maladie et de régime de prévoyance, les philanthropes de l'époque n'ont de cesse de souligner une paupérisation grandissante de cette classe dont l'effet immédiatement visible est « l'augmentation du vagabondage dans les principales villes du pays ». Cette situation se traduit par une augmentation grandissante de l'activité des monts de piété qui, s'ils peuvent « dépanner » ponctuellement, n'offrent pas réellement de solution satisfaisante à la problématique.

 

Puisqu'il est impossible de déposer de petites sommes dans un établissement bancaire, à la fois pour le protéger et le faire fructifier, il faut créer une organisme intermédiaire, susceptible d'apporter des volumes suffisants aux créanciers existants. Supposons par exemple qu'il ne soit pas possible de faire de dépôt dans un établissement, inférieur à 100 F, si 100 particuliers déposent 1 F auprès de l'intermédiaire, ce dernier, peut, pour leur compte, faire fructifier l'ensemble.

 

L'idée est simple mais nécessite des garanties (sécurité des placements, fiabilités de l’intermédiaire et de l'organisme bancaire in fine). Usant de leurs relations, les instigateurs vont donc appuyer le projet à la dépôts à la Caisse des dépôts, s'assurant d'une rémunération fixe et garantie qui sera restituée aux petits épargnants hors les frais de fonctionnement de l'organisme collecteur. Ils obtiennent une rente de 3% auprès de l'état qu'ils partagent en 0,5% de frais de gestion pour l'organisme, le reste étant reversé au petit épargnant. Pour défendre le projet auprès des autorités, ils vont défendre la mécanique vertueuse du dispositif.

 

Sur la base d'une petite somme déposée régulièrement sur un livret et à force de temps, les porteurs du projet démontrent qu'une famille disposant d'un revenu très modeste, peut se constituer un capital important, disponible, lui garantissant de pouvoir faire face aux imprévus de la vie et de disposer quand il n'est plus possible d'assurer une activité professionnelle d'un capital « retraite » décent. Pour l'état, l'intérêt est double puisque l'épargne ainsi constituée constitue une levée de fonds impossible à mettre en œuvre par d'autres moyens et qui, selon les projections de La Rochefoucauld, se constitue, progressivement, de manière permanente et stable au fil des générations. Par ailleurs, elle permet d'éloigner le spectre de la précarité pour les familles les plus vertueuses dont la charge pour l'état ne peut être assumée.

 

La caisse d'épargne de Paris est donc fondée en juillet 1818, sur ordonnance royale. Ses fondateurs sont les administrateurs de la Compagnie royale d'Assurances, quelques actionnaires de cette Compagnie : le banquier Jacques Laffitte, gouverneur de la Banque de France et plusieurs régents de cet établissement, dont Benjamin Delessert qui la dirigera pendant vingt ans et la Rochefoucauld-Liancourt qui en sera le premier président.

​Le développement de la couverture nationale et l'évolution des statuts

 

 

L'exemple de la capitale est rapidement suivi par les villes maritimes (les services de la caisse répondant particulièrement bien aux problématiques des marins) Bordeaux (1819), Rouen (1820),

Marseille, Nantes, Brest et Metz (1821), Le Havre, Lyon et Troyes (1822), puis Reims en 1823. Après une accalmie, les créations reprennent : 37 pour l'année 1834.

 

C'est la loi de 1835 qui va lancer le mouvement dans son ampleur nationale en en faisant des établissements d'utilité publique, dont les liens avec l’État se renforcent. L'initiative de leur création n'est plus du seul ressort de particuliers (banquiers, philanthropes, négociants, membres des Chambres de commerce ... ), les municipalités se lancent également dans l'aventure. Deux cent soixante-trois caisses sont créées de 1835 à 1845, hors les succursales qui assurent le service de proximité pour les caisses centrales.

 

1848 et sa révolution manquent de les faire disparaître au titre de l'assainissement de la situation financière du pays, l'impossibilité opérationnelle de rembourser tous les livrets fait qu'en 1851, elles sont ré-instituées et consacrées en 1856, établissements privés d'utilité publique. En 1870, il y a 585 caisses d'épargne en France. 1881 marque l'avènement de la caisse nationale d'épargne qui elle s'adosse au réseau des PTT. Une loi du 20 juillet 1895 autorise aussi les caisses à utiliser, en prêts à des entreprises d'utilité publique (Sociétés d'habitation à bon marché, par exemple), une partie de leur fortune personnelle (elles n'obtiennent la possibilité de prêter sur l'ensemble des dépôts qu'en 1950).

 

Cette loi de 1895 marque l'essor des œuvres sociales des caisses.

 

 

L'empreinte sociologique et les œuvres sociales

Quoique le principe défendu par les fondateurs soit vertueux, le démarrage des activités est difficile. L'adhésion des classes laborieuses n'est pas inné et dès les années 1820, Delessert et les philanthropes fondateurs se focalisent sur ce qui, pour eux, fait barrage à l'essor des caisses : la loterie et la fête du St Lundi dans les cabarets et entament une campagne politique très marquée visant à sortir le peuple de ses mauvaises habitudes. Loin d'être anecdotique, la loterie pèse, en gains, 49 à 58 MF au début de la restauration (16 à 19 t d'or!). Le lobby sera suffisamment intense pour obtenir une suppression progressive des loteries dans la loi de finance de 1832 et leur interdiction définitive en 1836. Entre 1820 et 1834, les mises à la loterie et les versements sur livrets, qui sont inversement proportionnels, vont intégralement se porter sur les caisses et garantir le succès de l'institution.

Pour les cabarets, le combat sera plus complexe mais repose sur le même constat. La débauche de ces lieux est tenue pour responsable du manque d'adhésion des ouvriers à l'épargne et, accessoirement de leur ivrognerie. La tradition populaire de « faire le lundi » consiste à profiter du dimanche pour dépenser sa semaine en beuveries au cabaret. Le lundi relâche et récupération sont des pratiques courantes chez bon nombre d'ouvriers, assez pour que les patrons fassent relâche préventive ce jour là plutôt que d'avoir une production ingérable par absentéisme. Delessert et ses pairs y voient deux conséquences fâcheuses : une nuisance chronique à la production industrielle et un instrument de paupérisation d'une classe ouvrière par ailleurs immorale et non éduquée. C'est sur le point de l'éducation que se portera alors l'action contre l'ivrognerie et les cabarets.

Dès les années 1830, des campagnes chiffrées sont diffusées, « ¼ des salaires ouvriers est dépensé en cabarets qui, épargné, constituerait un capital de 20 000 F par famille au vieux jours ». De nombreux opuscules paraissent entre 1837 et 1860 sur la moralité de l'épargne, diffusés gratuitement dans les usines, faisant l'objet de mini-feuilletons dans les journaux. Les fondateurs, non content de ces campagnes, se penchent sur l'éducation dès le plus jeune age. C'est l'apparition de l'épargne scolaire et de l'implication des instituteurs, notamment dans les établissements municipaux, dans la promotion des vertus de l'épargne. Les bon élèves sont récompensés par l'ouverture d'un livret à leur nom et de sommes déposées allant de 5 à 10 F. Tout le XIXème siècle, les administrateurs dénonceront les pratiques liées à la fréquentation des cabarets et feront de la moralité exemplaire des épargnants, une véritable culture sociale qui va s'ancrer profondément dans les consciences. Le livret d'épargne devient un gage de conduite morale et responsable et va jusqu'à devenir un passeport majeur à l'embauche pour la classe ouvrière.

La vocation des Caisses, principe philanthropique au départ devient raison d'être absolue : casser la paupérisation des classes laborieuses et supprimer la pauvreté liée au travail. Elles prennent part, dès la fin du XIXème à des prêts pour la construction des habitations à bon marché (ancêtres des HLM), à la mise en place de jardins ouvriers et la construction de bains-douches et subventionnent de nombreuses associations à vocation sociale. Cet impact va durer dans les consciences jusque fin des années 1980. La structuration des caisses en établissements bancaires classiques puis la libéralisation des livrets d'épargne entameront considérablement cette image dans les années 90.

​Les patrimoines historiques

Le premier patrimoine des caisses est incontestablement l'immobilier. Constitué sur les fonds propres (les 0,5% d'intérêts sur les versements), le succès du système est tel que les caisses disposent d'une manne conséquente dont le premier objet sera de les doter d'hôtels hébergeant leurs activités. Les démarrages se font souvent dans les locaux de la Mairie mais deviennent vite un problème au vu de la fréquentation générée et des besoins en archivage d'écriture. Ces hôtels voient le jour entre les années 1850 et 1920, dans des périodes architecturales marquées (Haussmann puis Art nouveau et Art déco). Ce patrimoine sera enrichi par les œuvres sociales, notamment les bains-douches (promotion de l'hygiène), les habitations bon marché et les œuvres de mécénat.

Autre patrimoine plus méconnu, la numismatique : alors que par définition, les fonctions d'administration sont strictement bénévoles, des compensations apparaissent dès 1840 et la mise en œuvre de jetons de présence pour les conseils. Parallèlement, la production de médailles honorifiques (parallèle des médailles du travail) se développe de manière importante et sont, dans la période du Franc or, une manière de rétribuer les administrateurs puis les agents (les médailles sont en bronze mais aussi en argent voire en or, comme les jetons).

Une anecdote pour conclure, à une période où le métal argent fera l'objet de spéculation à la hausse, la caisse d'épargne de Tournon qui émet des jetons en argent convertibles en monnaie, se voit contrainte d'opter pour des jetons en bois, les administrateurs avaient pris l'habitude de changer les jetons auprès du bijoutier local qui les payait mieux que la caisse.

© 2017 par Christophe CHARVE
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